Ils étaient une dizaine dans le luxueux bureau de l’ingénieur-conseil Jacques Langlais-Laville. Une dizaine d’hommes et de femmes en complet de bonne coupe, robe chic et sobre tailleur, réunis pour écouter un exposé – illustré par quelques projections – sur les nouvelles possibilités d’emploi qu’offrait aux cadres, aux techniciens et aux chercheurs la super-mulco Dunn Worldco qui venait enfin d’absorber la plupart des grandes sociétés européennes. Et que Jacques Langlais-Laville représentait à Paris et en Europe libérée…
Une baie immense, aussi haute que large, découpait dans le ciel de la ville un arc bleu vif. C’était la fin du printemps. Seuls quelques nuages blancs et propres erraient sur la capitale de Neuropa, débarrassée pour toujours – du moins on pouvait l’espérer – des gaz et des fumées industrielles. On savait maintenant que la pollution de l’atmosphère, des mers et des villes pendant le dernier quart de siècle n’avait été qu’un incident de croissance dû en grande partie à la mauvaise gestion et à l’incurie des gouvernements socialistes placés, depuis les années quatre-vingt par des élections truquées, à la tête d’un grand nombre de pays, entre l’Elbe et l’Atlantique… La libération, effectuée sous l’égide de Dunn Worldco et de ses satellites, avait permis d’éliminer les principaux responsables, fonctionnaires et politiciens, et de les remplacer par des hommes compétents, intelligents, dévoués, prévoyants et attachés de tout cœur à la défense de la biosphère terrestre, du niveau de vie de l’Humanité et de la propriété privée. En majeure partie des ingénieurs atomistes et chimistes… Une ère nouvelle de joie de vivre et de progrès s’ouvrait sur le monde.
Telle est la vérité, se disait Igor avec patience. La vérité, la vérité… Enfin, telle était une certaine vérité chère à tous les ingénieurs.
Né en 1934, Michel Jeury publie Aux étoiles du destin – écrit à dix-sept ans – dans la collection « Le Rayon Fantastique » en 1960. Le roman est salué comme une révélation. Après treize ans de silence, il publie Le Temps incertain, premier d’une liste de chefs-d’œuvre qui imposeront Jeury comme le chef de file de la nouvelle vague française des années 1970.