Annoncée il y a tout juste quelques jours, cette nouvelle trilogie de science-fiction a la particularité d’être écrite à quatre mains… et quelles mains ! Tom Clegg, notre monsieur cyclopède de la SF, se propose de vous en toucher quelques mots…
La collection Bragelonne SF commence 2010 avec la parution de L’Œil du Temps, premier tome de la trilogie L’Odyssée du Temps co-écrite par Arthur C. Clarke et Stephen Baxter. C’est notre façon de rendre hommage à Clarke, géant de la SF qui nous a quitté l’année dernière. Ses romans Les Enfants d’Icare et La Cité et les astres ont eu un fort impact sur moi quand j’étais jeune lecteur, et la sortie en 1968 du film 2001, L’Odyssée de l’espace qu’il a écrit avec Stanley Kubrick fut une révélation authentique pour moi et beaucoup d’autres de ma génération. Mais j’ai suivi également avec intérêt la carrière de Stephen Baxter, qui est devenu un de chefs de file de la renaissance actuelle de la SF britannique, tout en restant très fidèle à une tradition qui remonte non seulement à Arthur C. Clarke mais à H.G. Wells et Olaf Stapledon. En ce qui me concerne, cette trilogie était donc un choix tout naturel.
Mais nos lecteurs ont le droit de se poser quelques questions. Par exemple :
S’agit-il d’une vraie collaboration entre Clarke et Baxter ?
Moi-même, j’ai interrogé Stephen sur ce point. Il m’a répondu en toute franchise que, étant donné l’état de santé fragile de Clarke vers la fin de sa vie, il a assumé en grande partie la tâche de produire ces trois livres, mais que Sir Arthur fournissait les idées de base et participaient activement à chaque étape de l’écriture avec ses suggestions et commentaires. En lisant ces trois livres, on trouve beaucoup d’évocations des inventions venues de l’imagination de Clarke, des clins d’œil à ses autres romans et nouvelles, voire quelques-uns de ses tics stylistiques. En même temps, il y a des aspects qui rappellent furieusement les livres de Baxter. Le ton est notamment assez sombre : l’univers est un endroit hostile, et au lieu d’extraterrestres bienveillants qui cherchent à aider l’humanité à accéder à la prochaine étape de son évolution, elle doit faire face à une menace aussi implacable qu’énigmatique. Puis, chose inhabituelle dans les livres de Clarke, le personnage principal de toute cette trilogie, Bisesa Dutt, est féminin, une soldate de la paix travaillant sous les ordres de l’ONU et mère célibataire. Elle est aussi coriace et pleine de ressources que Paula Benacerraf dans le roman Titan de Baxter. (Suis-je le seul lecteur à avoir pleuré à la fin de ce roman ?) On peut donc détecter la main des deux auteurs, mais le résultat est une œuvre tout à fait originale. Et c’est très bien ainsi.
S’agit-il d’une continuation de 2001 et ses suites ?
Pas vraiment. Cette trilogie est située dans un tout autre univers et les personnages sont différents. Et il n’y a pas un seul monolithe en vue. Selon la note des auteurs qui paraît au début de L’Œil du Temps : « Cet ouvrage et la série qu’il inaugure ne se situent pas avant ni après L’Odyssée de l’espace, mais à angle droit de ce dernier : ni sequel ni prequel, il s’agit d’un "orthoquel" qui développe des prémisses similaires dans une autre direction. » Moi je dirais plus simplement qu’il y a lien thématique dans la mesure où il est question d’une série de rencontres avec une intelligence d’origine extraterrestre qui mettra l’humanité à l’épreuve en lui obligeant à faire un choix : évoluer rapidement ou périr. Ce qui me semble être un message tout à fait pertinent en ce début du 21e siècle, même sans intervention venue d’ailleurs.
Cela dit, ce premier tome constitue en soi une aventure des plus insolites. Grâce à l’action d’une force mystérieuse, la Terre se trouve soudainement charcutée en segments temporels différents qui seront juxtaposés ensemble. Seule une poignée de humains originaires de l’époque moderne survivront a cette « discontinuité », ce qui donne place libre aux armées d’Alexandre le Grand et aux hordes mongoles sous les ordres de Gengis Khan pour se lancer à la conquête de ce nouvel monde. Le tout sous l’œil goguenard d’un jeune Rudyard Kipling fort bien dépeint. Les amateurs d’uchronies et des batailles épiques vont apprécier ! Mais pour ceux qui veulent percer le secret de ce phénomène, il va falloir attendre les deux tomes suivants, intitulés Sunstorm et Firstborn en anglais. Car effectivement, ce n’est que le début d’une longue odyssée qui traversera non seulement le temps, de la préhistoire à notre avenir, mais aussi l’espace, en nous faisant visiter divers lieux du système solaire et même une étoile lointaine. On ne s’attend pas moins de la part de deux visionnaires comme Arthur C. Clarke et Stephen Baxter !
Tom Clegg