On a présenté l’auteur, puis son bouquin. Maintenant, passons à notre analyse. On tâchera notamment de vous démontrer ici que Joe est en quelque sorte le chaînon manquant entre David Gemmell et George R.R. Martin.
« Délicieusement tordu et diabolique. » The Guardian
Ces raisons, elles ne manquent pas : un ton irrévérencieux, des répliques mémorables et des personnages rendus puissants et crédibles par leurs défauts ou leur extravagance.
D’une manière générale, c’est le constat d’une Fantasy pas forcément trop sage, mais bien trop peu nuancée, qui l’a poussé à écrire ses propres livres. Lassé par le manque d’ambiguïté des personnages et par le manichéisme certain des récits, l’auteur anglais a imposé son crédo : rien n’est entièrement noir ou blanc. Parce que c’est le cas dans la vie, il doit en être de même dans la Fantasy, pour la rendre aussi réaliste que possible, et d’autant plus épique.
Ainsi, sa vision du genre emprunte beaucoup au cinéma, et notamment aux films de guerre, de gangsters et aux westerns. Cela se ressent aussi bien dans le fond que dans la forme, tant l’écriture d’Abercrombie est visuelle. Qu’importe qu’il construise des scènes d’exposition ou d’action, par le prisme de son « regard », chacune d’elle est amenée de façon dynamique. Si l’on devait continuer le jeu des comparaisons, on citerait volontiers Scott Lynch et Col Buchanan. Le premier, en raison de son attachement à des protagonistes à la morale ambiguë, mais invariablement cool. Le second, parce que la construction de leurs récits respectifs est simple mais prodigieusement bien rendue. Et bien sûr, on trouve à ce trio le même sacré panache.
On évoquera également un troisième nom élogieux, et pas des moindres : celui de David Gemmell. Car comme ceux du défunt grand homme, chaque roman de Joe Abercrombie est plein de gouaille, bourré d’action et d’humour très fin. Pour toutes ces raisons, Il est à nos yeux l’un de ses héritiers. Ses livres ne partagent peut-être pas son code d’honneur ou sa morale, mais ils ont résolument la même énergie.
Servir froid est une extraordinaire histoire de vengeance. Une Fantasy épique maintenue par un équilibre précaire, teintée de nombreuses nuances de gris (sans mauvais jeu de mots). Ici, un héros peut aussi être un monstre, et la chute menace ce dernier à chaque instant. C’est sur cette fine corde qu’avancent ces mercenaires, ces hommes et ces femmes qui ont choisi, délibérément ou non, de tourner le dos à l’ordre et la justice, faisant ressentir au lecteur une tension rare.
Notre genre préféré est continuellement source de plaisir et d’émerveillement. Mais avec un livre de Joe Abercrombie, on sait qu’on va assister à un véritable spectacle : des dialogues aussi tranchants que le fil d’un rasoir, des péripéties et des retournements de situation qui atteignent un niveau dingue, une violence qui frôle l’inconcevable et une brochette d’acteurs plus impressionnants les uns que les autres. Et, à leur tête, Monza, bien sûr. Cette femme puissante, brisée physiquement et psychologiquement, devient l’avatar de la vengeance et, sans doute, le personnage le plus frappant créé par l’auteur. Les amateurs du Trône de Fer auront repéré dans ce dernier paragraphe plus d'un élément ayant contribué au succès de la série de George R.R. Martin...
Certains journalistes et auteurs sont allés jusqu’à comparer les plus récents romans de Joe aux films d’Akira Kurosawa et de Quentin Tarantino. Des associations éloquentes, et ô combien justifiées ! Quand on vous disait qu’il y aurait du spectacle…
Servir froid sort le 31 mai dans une splendide édition reliée.