L'auteur du Nom du Vent (votre Bragelonne préféré de 2009) a interviewé celui de L'Homme-rune (numéro 2 dans le même classement, mais chez Milady).
Comme vous le savez peut-être, Patrick Rothfuss est à l’origine de Worldbuilders une association visant à aider les plus démunis. Ainsi, plusieurs petites opérations faisant participer auteurs et lecteurs de Fantasty ont pu voir le jour sur son blog.
Parmi elles, il y a des concours permettant de gagner des exemplaires dédicacés de L’Homme-rune. Et à côté de tout cela, Rothfuss se fait plaisir et anime son blog de la façon qu’il le souhaite. Par exemple, en interviewant lui-même Peter V. Brett. Le résultat est un échange savoureux dans lequel les deux compères évoquent les joies et les peines de leur beau métier. Entre autres choses. Il est notamment question de vie de famille, d'alerte Google, du monde de l'édition, et de Joss Whedon...
C’est très sympa à lire, et on a décidé de vous faire partager cette discussion via la traduction suivante. Vous trouverez toute la première partie ci-dessous, la seconde sera publiée la semaine prochaine sur le blog de Milady... logique!
Très bonne lecture !
Patrick Rothfuss : Salut Brett. Avant de commencer, donne-nous quelques détails pour nous montrer à quel point tu es devenu phénoménal. Tu sais bien : les prix gagnés, tous les pays étrangers où tu as vendu les droits à tes livres. Ce genre de choses. Éblouis-nous.
Peter V. Brett : Phénomenal, ouais. Voyons cela... J’ai écrit L’Homme-rune sur mon téléphone portable en prenant le métro tous les jours pour aller au boulot. Dans beaucoup de milieux, je suis plus célèbre à cause de cela que pour le roman proprement dit. Sans blague, vous pouvez lire des articles à ce sujet, ici, ici et ici.
Malgré le fait de l’avoir écrit uniquement avec mes pouces, le roman a été nommé parmi les 10 meilleurs livres de Science-Fiction et de Fantasy en 2008 chez Amazon UK. On a vendu les droits en 18 pays et 17 langues à ce jour (on vient de signer le contrat concernant la Turquie : c’est très excitant pour de multiples raisons). Il est paru sur la liste des bestsellers aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Pologne et en Allemagne.
Le réalisateur Paul W.S. Anderson et le producteur Jeremy Bolt, responsables des films comme Event Horizon, Death Race, Pandorum et la série Resident Evil, ont pris une option sur les droits de ce roman.
À part ça, je suis beau comme un diable et je fais des bébés avec une beauté aux cheveux de feu, le genre que les femmes paient des quantités énormes d’argent aux coloristes pour avoir les mêmes.. Et je suis également le dessinateur des petites runes en tête de chaque chapitre de L’Homme-rune.
Et il fait aussi des légumes à la julienne, mesdames et messieurs. Commandez le vôtre aujourd’hui ! Commençons avec une question facile. Si tu étais un gâteau, tu serais de quel genre ?
Le genre qui est resté sur le comptoir depuis très longtemps et donc un peu rassis. Alors franchement, ça ne donne pas envie de le manger tout de suite, mais on le garde quand même au cas où on ressente un creux à l’estomac au milieu de la nuit.
Je viens de me remettre d’une grippe, ce qui m’a permis de lire beaucoup. Y compris le dernier tome de La Roue du temps : The Gathering Storm, par Brandon Sanderson. J’avoue avoir beaucoup aimé même si Brandon reste ma Némésis. Je crois que l’esprit de Robert Jordan doit être satisfait du résultat. J’ai lu aussi Le Choix des ombres de Brent Weeks et Légende de David Gemmell. Maintenant, j’hésite entre L’Empire Ultime de Sanderson et Acacia de David Anthony Durham. Donc, pour le moment je lis tout un tas de comics. J’en ai accumulé beaucoup depuis quelques semaines.
Toute cette lecture me fait du bien. Pendant les deux dernières années, j’ai été bien trop concentré sur ma propre écriture pour lire les autres, et je pense que c’était malsain de ma part. J’ai beaucoup de mal à débrancher mon éditeur interne, chose qui gâche mon plaisir comme lecteur
Si tu devais choisir ton livre préféré de tous les temps, ce serait ?
Arrrgh. Question difficile. Mes préférés changent selon mon humeur. Élargissons un peu.
Voici mon Top 5 personnel :
1. Le Hobbit de J.R.R. Tolkien
2. Les Pierres elfiques de Shannara de Terry Brooks
3. Le Trône de fer de George R.R. Martin
4. La Montée des orages de Robert Jordan
5. Shogun de James Clavell
Tu es relativement nouveau dans le monde de l’édition. Est-ce que le fait d’être publié a changé ta vie ?
Mec, tu n’imagines pas à quel point... Oh, attends une minute… Si, tu le sais très bien. Mon livre a été acheté mi-2007 et depuis, pratiquement TOUT dans ma vie a changé. Juste avant, je devais prier les gens – n’importe qui – de lire mon bouquin. Tout de suite après, je me voyais en train de répondre au courrier de fans japonais et australiens. À part la vente de ce roman et le fait que j’écris maintenant à plein temps, ma femme a perdu son boulot, nous avons eu un enfant et nous avons acheté un nouvel appart.
Même si pour la plupart, il ne m’était arrivé que des bonnes choses, des choses dont j’ai rêvé, j’ai eu l’impression que ma vie a été bouleversée, comme si tous les éléments fixes avaient soudain disparu.
Tout était sens dessus dessous. Et puis il y avait cette pression incroyable : écrire une suite qui n’allait pas décevoir les lecteurs ayant aimé le premier tome. C’était doublement difficile car j’étais en train de travailler comme un zombie tout en suivant les horaires du bébé. Et avec des soucis d’argent et d’assurance santé par-dessus le marché...
Ton blog m’a beaucoup aidé à m’adapter à ce changement. Voir qu’il y avait quelqu’un d’autre qui éprouvait les mêmes difficultés (et s’en sortait à la fin) m’a facilité les choses.
C’est gentil de dire cela. Parfois, j’écris sur mon blog et je me demande : « Pourquoi est-ce que je raconte cela aux gens ? Pourquoi dois-je infliger mes conneries émotionnelles sur autres ? »
Je connais bien ce sentiment, mais les gens que cela embête peut-être ne lisent pas ton blog. Je trouve que le fait de blogger à propos de ma vie m’aide à mettre de l’ordre dans mes idées et garder un sens de la perspective.
Et à quelle fréquence consultes-tu ton niveau de ventes sur Amazon ?
Beaucoup trop souvent. C’est une obsession très, très maladive de ma part. J’utilise aussi Google pour me signaler toutes les critiques qui apparaissent sur Internet, même les plus casse-couilles.
Oh, tu utilises Google Alerts ? J’ai réussi à éviter cette folie-là par l’agencement intelligent de mon ignorance. Je ne sais pas comment le mettre en œuvre. Je compte simplement sur le fait que s’il y a quelque chose d’important, on m’avisera par mail.
C’est probablement une attitude sage. Il te faudrait trois secondes et l’expertise d’une mouche pour mettre Google Alerts en œuvre, mais il vaut mieux sans doute pour toi ne jamais ouvrir cette porte.
Combien d’exemplaires de tes propres livres possèdes-tu ?
J’ai deux étagères avec mes propres livres. Le premier contient deux exemplaires de chaque version ou traduction, pour ma collection personnelle. Cela fait au total 16 ouvrages bien distincts, soit 32 exemplaires. Ces volumes sont précieux pour moi, et je les garde comme s’il s’agissait de mes propres enfants.
L’autre étagère contient des livres dont je dispose pour donner aux autres, et j’essaie d’organiser des concours et des trucs du genre sur mon blog pour les écouler. Cette étagère a exactement 47 livres en ce moment même, dans différentes langues.
Wouah. Des chiffres bien spécifiques. Jusqu’ici, personne n’a été aussi franc avec moi.
Ils cachent quoi, à ton avis ? Des bunkers secrets remplis de leurs livres, au cas où l’apocalypse arrive ?
Absolument. J’imagine que tout le monde achète son premier livre de façon obsessionnelle, cela va de pair avec la vérification du niveau de ventes sur Amazon. OK. Avant d’aller plus loin dans cette interview, j’ai une confession à faire : tu étais un des premiers auteurs à m’envoyer tes livres afin d’aider ma collecte de fonds pour la charité. Et une nuit, après avoir été réveillé par mon gamin, je n’avais rien à lire sous la main, sauf un tas de tes livres… Alors, j’en ai pris un pour le lire. Ce n’est pas une habitude pour moi avec les donations, mais il était là devant moi. En train de me narguer.
L’aveu de la culpabilité est un premier pas vers l’absolution, mon ami. Je crois que si tu mettais un mot sur la couverture du livre en disant : « J’ai lu celui-ci, les miettes de biscuits et les taches du café sont les miennes. Bisous, Pat », la personne qui gagnerait cet exemplaire pardonnerait le fait qu’il n’est plus neuf, car elle obtiendrait beaucoup plus sur eBay.
T’es sûr de ça ? Je n’écris jamais dans les livres à part les miens, pour les dédicacer. C’est un péché ça, non ?
Il s’agit d’un cas spécial. Quiconque le gagne à ta tombola serait sans doute plutôt un de tes fans qu’un des miens. En tout cas, je t’autorise à illuminer mon livre avec ta belle écriture délicate… voire le mutiler avec tes grattements de poulet, si ton écriture ressemble à la mienne. (Fort heureusement, nous vivons désormais dans l’époque informatique.)
D’accord, si tu es vraiment sûr…
Tu pourrais peut-être rajouter « ce n’était pas complètement nul ».
Je peux faire mieux que ça, mec. Je dois dire que ton livre était vraiment bien !
Continue, je t’en prie…
Bon, pour être complètement honnête avec toi, j’étais plutôt disposé à ne pas l’aimer. Je n’en suis pas fier… Mais j’avais entendu dire que tu avais déjà reçu une offre de Hollywood, alors j’étais un peu jaloux. Et puis tu l’as écris dans le métro, et j’étais prêt à me montrer méprisant à ce sujet, aussi. Je t’imaginais comme un nouveau Paolini : ces livres sont devenus populaires parce qu’il les a écrit très jeune. J’ai donc supposé que tu bénéficiais du même genre de traitement. Parce que tu étais « l’écrivain du métro ». Je devrais savoir qu’il ne faut pas avoir de tels jugements aussi précipité. Car j’avais totalement tort : ton bouquin vaut bien 5 sur 5 sur l’échelle de coolitude de Joss Whedon.
Le Whedon de Firefly ou celui de Dollhouse ?
Il n’y a qu’un Whedon, et je suis son prophète…
À suivre...