Oui, vous avez bien lu. On vous propose de lire ici-même certaines pages du thriller démentiel de Scott Bakker.
Neuropath raconte l’histoire d’un psychologue un tantinet désabusé à qui le FBI demande de l’aide pour mettre la main sur un tueur en série. Tueur qui n’est autre que l’un de ses meilleurs amis. Neuroscientifique de son état, ce dernier a passé des années à peaufiner pour le compte de la NSA des techniques d’interrogatoires usant de la chirurgie évasive. Depuis, il est convaincu que l’on peut commander les sentiments et le comportement humain en stimulant adéquatement le cerveau. Et pour le prouver, il a besoin de certains cobayes.
Le pitch de ce thriller n’est pas sorti tout droit de la tête de Bakker. Elle est en fait fondée sur les dernières découvertes scientifiques en date sur le cerveau humain. Et au fur et à mesure de la lecture, le fait de savoir que cela est plus ou moins d'actualité est assez flippant.
En plus d’avoir le mérite de jouer carte sur table, la postface du livre explique le contexte et l’idée principale de l’auteur. On a donc décidé de vous en livrer quelques morceaux choisis. Loin de nous l’idée de vous gâcher la lecture du livre, cependant. * Vous ne trouverez ci-dessous "que" deux extraits intéressants, sans spoiler aucun. Il se peut que cela vous donne un peu envie de lire le livre, mais c'est à peine si cela nous a traversé l’esprit. Non, vraiment…
Nous donnons rendez-vous à ceux qui apprécieront le 27 mars prochain en librairie… ou entre le 13 et le 18, au Salon du livre, pour les plus impatients d’entre vous. Bonne lecture.
Puisque ce livre repose sur une combinaison complexe de faits et de fiction, j’ai décidé de faire la part des deux, au moins en termes généraux. Par bien des côtés, les romanciers sont les moins fiables des sources, non seulement à cause de la vaste gamme de domaines qu’ils couvrent, mais parce qu’ils passent tant de temps seuls avec leurs opinions qu’ils en tombent forcément amoureux.
Sur la myriade de détails concernant la psychologie et la science cognitive qui apparaissent ici, la majorité sont soit des faits, soit des extrapolations limitées sur les faits. Mais certains sont ce qu’on pourrait appeler des « faits à venir », des résultats qui n’ont pas encore été obtenus mais pourraient l’être un jour, avec une interprétation pessimiste des tendances actuelles. Ce qui concerne le libre arbitre est un bon exemple. À ma connaissance, les chercheurs n’ont pas encore mis en évidence des choix rudimentaires pris avant qu’on ait conscience de les prendre. Les célèbres découvertes de Benjamin Libet, je pense, sont trop ambiguës pour être concluantes, dans un sens ou dans l’autre. De la même manière, il semble très probable que le libre arbitre, certainement tel qu’on l’entend généralement, soit très, très mal parti. Pour ceux qui voudraient s’intéresser à une récapitulation rapide des tendances récentes de la recherche sur la conscience, je recommande chaudement A Very Short Introduction to Consciousness, de Susan Blackmore (non traduit en français).
Quant au mariage de la technologie et du cerveau, c’est déjà d’actualité, et les possibilités thérapeutiques sont époustouflantes. Des formes de dépression, de cécité et de surdité qui paraissaient incurables il y a seulement quelques années paraissent destinées à disparaître entièrement. Mais puisque je voulais que Neuropath soit un thriller, dérangeant autant intellectuellement que viscéralement, je me suis surtout concentré sur les implications effrayantes de notre avenir « post-humain ».
En conséquence, ce livre sentira sans doute l’alarmisme et la technophobie pour ceux qui voient une corne d’abondance dans ces possibilités. Pour ma part, je pense que nous avons toutes les raisons de nous montrer plus qu’un peu paranoïaques. Manipuler les marges du fonctionnement du cerveau pour soulager la souffrance paraît évidemment bénéfique. Mais les enjeux changent considérablement quand on commence à manipuler la machine de la conscience. Que se passe-t-il quand l’expérience elle-même devient aussi malléable que la peinture ? Que se passe-t-il quand le seul étalon que nous possédons devient aussi flexible que du caoutchouc ? Altérer notre propre neurophysiologie, c’est altérer la nature même de notre expérience, la pierre de fondation de notre humanité, sans parler des outils nécessaires pour décider des futures altérations. Il y a de bonnes raisons de croire que l’automodification à un niveau aussi fondamental nous précipiterait dans différentes directions de folie. D’une façon ou d’une autre, nous ne pouvons pas imaginer un monde d’où ce cadre de référence commun serait absent. Et s’il était vrai que le sens, l’intention et la moralité sont des sortes d’illusions, alors aucun de ces concepts ne survivrait au futur post-humain. Les optimistes du post-humanisme font généralement reposer leurs arguments sur les expériences mêmes qu’ils comptent rendre obsolètes. Ils supposent qu’un « centre humaniste » résistera alors que leurs arguments sous-entendent exactement l’inverse. Ils prêchent littéralement ce qu’ils ne peuvent pas conceptualiser, ce qui signifie en un sens qu’ils ne prêchent rien du tout. En ce qui concerne le post-humain, nous n’avons vraiment aucune raison d’être quoi que ce soit d’autre que profondément incertains. Et l’incertitude profonde, à propos des sujets essentiels, impose un soin extrême.
Ou, comme j’aime à l’appeler, la paranoïa.
* Si vous désirez en savoir plus sur la thoérie, on vous propose également la lecture de ce lien (en anglais). Attention cependant, c'est bourré de spoilers...