Comme à son habitude, Tom Clegg vient vous présenter le dernier-né de sa collection.
La Splendeur du ciel, de Kay Kenyon, sorti en librairie à la fin août. Premier tome d’une tétralogie, L’Entier et la Rose, il s’agit d’une trouvaille de notre génial confrère américain, Lou Anders (qui vient de gagner le prix Hugo cette année pour récompenser ses efforts à la tête de Pyr Books). Kay Kenyon a déjà écrit plusieurs romans SF, dont Le Sacre de glace, traduit en français chez Fleuve Noir, mais c’est surtout La Splendeur du ciel qui a retenu l’attention d’un certain nombre de critiques anglo-saxons et qui figurait sur les listes des meilleurs livres SF de l’année émises par Publishers Weekly, SF Site, l’American Library Association et Jeff Vandermeer sur Locus Online, lors de sa parution en 2007. Je ne pense pas que tous ces braves gens aient eu tort. En tout cas, j’ai été conquis par l’ambition et la richesse de cette série.
Pourtant, l’histoire prend son point de départ sur des bases assez simples. Au XXIIIe siècle, Titus Quinn, pilote de vaisseau interstellaire, est retrouvé sur une planète aux confins de l’espace exploré par les humains, quelques mois après sa disparition au cours d’un voyage à travers les étoiles. L’histoire qu’il raconte est très bizarre : suite au naufrage de son navire, lui, sa femme Joanna et sa fille Sydney avaient tous trois été projetés dans un autre univers, où ils étaient retenus captifs pendant de longues années. Lui seul a réussi à s’échapper et revenir dans notre monde. Mais ses souvenirs de son séjour là-bas demeurent très vagues et personne ne veut le croire. Jusqu’au jour où la compagnie Minerva découvre des indices des particules émanant de cet autre univers. Bientôt, elle aura mis sur pied un dispositif permettant à un être humain de faire la traversée et propose à Titus Quinn d’y retourner comme émissaire. Pour Minerva, c’est surtout une question de bénéfices : cette « région voisine » pourrait servir de raccourci dans l’espace-temps et remplacer les tunnels en place, onéreux et dangereux, pour effectuer les voyages interstellaires. Quinn, lui, ne pense qu’à récupérer sa femme et sa fille bien-aimées. Mais personne n’aurait pu prévoir la suite des événements déclenchée par l’arrivée de Quinn de l’autre côté de la barrière…
Le roman de Kenyon offre du plaisir à plusieurs niveaux. Le plus évident est le décor : l’univers de « l’Entier » – ses habitants l’appellent ainsi – est une construction artificielle fabuleuse, avec une topologie et des lois physiques bien différentes de celles qui s’appliquent dans notre monde. Au lieu du soleil, il y a la « splendeur », un vaste ruban de lumière et de chaleur dans le ciel, qui fluctue en intensité selon un cycle bien régulier, sans jamais s’éteindre complètement. En dessous s’étend une immensité de terres occupées par un grand assortiment de races intelligentes : les humanoïdes Chalins, les sinistres Gonds, les Hirrins, les Jouts, et bien d’autres. Chaque race préserve ses propres coutumes et particularités. Tous ces êtres pensants vivent sous la domination des Tarigs, seigneurs élégants mais cruels qui règnent sans partage sur l’Entier. Les Tarigs empêchent tout conflit armé entre les races qui leur sont assujetties, mais les obligent à participer à une guerre sans fin contre des envahisseurs. Les habitants de l’Entier sont au courant de l’existence de notre univers – connu sous le nom de « la Rose » – mais tout contact est strictement interdit par les Tarigs. Le retour de Titus Quinn représente donc une grande menace pour ces derniers.
Je vous laisse découvrir les autres éléments et détails ingénieux, mais la nature des lieux et la multitude de cultures présentes créent un terrain d’aventures tout à fait insolite. Les comparaisons faites par certains critiques avec Le Fleuve de l’Éternité de Philip José Farmer, L’Anneau-Monde de Larry Niven, ou Hypérion de Dan Simmons ne me semblent pas exagérées. C’est peut-être ici qu’il faut saluer le travail de Stephan Martinière, l’artiste responsable de l’illustration de la couverture, qui nous a fourni une magnifique vue, très fidèle à la vision de l’auteur.
Puis il y a les personnages, Titus Quinn en tête. Un homme qui rentre bien de la moule du héros solitaire : tenace, audacieux, imbu d’une loyauté farouche envers les siens. Il ne reculera devant aucun danger pour sauver les membres de sa famille, mais souffre de scrupules dès que les vies d’innocents sont en jeu, et de remords quand le souvenir de sa vie passée commence à lui revenir. Autour de lui, tous les bons rôles dans ce premier tome sont accaparés par les femmes : Anzi, jeune Chaline qui l’accompagne dans son odyssée, Helice Maki, cadre supérieur de Minerva qui nourrit ses propres desseins ; Caitlin Quinn, la belle-sœur de Titus luttant pour protéger son mari et ses enfants… et j’en oublie volontairement.
La mission de Quinn se complique très vite, et notre héros se voit enrôlé contre son gré dans plusieurs intrigues, tout en essayant de ne pas se faire remarquer des Tarigs qui sont à ses trousses.
Voilà, préparez-vous donc pour une grande épopée avec le sort de deux univers en jeu, un héros hors du commun, des coups de main et des complots, sur fond de paysages extravagants peuplés de toutes sortes de créatures étranges. Il s’agit également d’une série qui, malgré ses parures de space opera, pourrait très bien convenir aux lecteurs de fantasy, écrite avec beaucoup de finesse psychologique et de style. Je salue aussi le travail d’Olivier Debernard, qui a su traduire ce premier tome avec habileté et soin.
Bonne rentrée, et bonne lecture à tous !
Tom Clegg