Aujourd’hui, on vous propose un bonus non négligeable qui vous entraîne dans les coulisses de la création du dernier tome en date de la série !
Un Éclat d’argent, le cinquième volume de la saga de Kristen Britain, est maintenant disponible, en librairie et en numérique. Le terrible cliffhanger qui conclut le volume précédent se voit donc enfin résolu…
Il faut savoir que la version originale du roman comporte, à la fin de l’ouvrage, un document qui revient sur la création de la Tisserande, où se déroule l’action du livre. Manifestement passionnée par le lieu imaginaire et par la ville qui l’a inspirée, Kristen Britain à choisit de partager ceci avec ses lecteurs.
Nous n’avons pas pu intégrer ledit document dans la version française du livre, mais vous le trouverez malgré tout ci-dessous, rien que pour vous. Vous pouvez remercier Claire Kreutzberger pour la traduction, et Anne-Laure Lajous, l’éditrice du livre, pour l’idée.
Si vous n’avez pas encore lu les tomes 4 et 5 de Cavalier Vert, ce qui suit n’aura qu’assez peu d’intérêt pour vous. Si au contraire vous avez déjà tout dévoré, ce qui se comprend, alors ce texte aura une saveur toute particulière…
Bonne lecture !
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« L’art est au service du bien humain. » Devise de la ville de Lowell, Massachusetts
J’actionnai le levier, et l’arbre de transmission situé en hauteur entraîna la courroie reliée au volant du Draper modèle E de 1901. Le métier à tisser prit subitement vie, et la navette commença ses allers-retours. Tandis que sa canette se déroulait, déposant le fil de trame, les lisses équipées du fil de chaîne se levaient et s’abaissaient tels des pistons selon un rythme mécanique qui leur était propre. Le peigne tassait les deux types de fils pour un tissage bien serré. C’était le printemps de 1989, et je travaillais comme ranger au parc historique national de Lowell, à environ trente kilomètres au nord de Boston, Massachusetts. Chargée de guider les visiteurs de la filature Suffolk, je montrais à mon groupe le fonctionnement des métiers mécaniques qui ont connu un essor fulgurant au XIXe siècle grâce à l’énergie hydraulique.
Métier mécanique Draper 1901, filature Suffolk. Photographie prise par l’auteur.
Il y a de cela environ deux cents ans, des entrepreneurs sont arrivés sur les berges du Merrimack pour en exploiter le courant puissant. Tandis que les filatures en brique transformaient un village de fermiers en centre industriel, des immigrants irlandais creusaient des canaux d’amenée jusqu’aux roues hydrauliques – devenues plus tard des turbines – qui permettraient d’alimenter toutes les machines intervenant dans les étapes de la confection textile : cardage et filage, puis tissage et finissage. L’usine Suffolk a commencé à produire des cotonnades en 1832.
Une navette avec canette et fil, telle qu’employée avec un métier à tisser. La pièce de vingt-cinq cents indique l’échelle. Les navettes pouvaient représenter un danger mortel pour les ouvriers, lorsqu’elles déviaient de leur trajectoire à une vitesse pouvant atteindre 300 km/h. Photographie prise par l’auteur.
Lowell, l’un des premiers projets de villes de la Révolution industrielle américaine, a été conçue comme une expérience, une sorte d’utopie urbaine. Certains visiteurs européens l’ont considérée, au même titre que les chutes du Niagara, comme un site incontournable, mais, son évolution ayant connu des hauts et des bas au fil des ans, l’utopie s’est vite ternie. Par la richesse de son histoire, ses filatures, ses canaux et ses machines, Lowell imprègne Un éclat d’argent à bien des égards. D’ailleurs, à son apogée, Lowell était souvent surnommée « la Tisserande ». (Note : "The Mill City" en version originale.)
Mon groupe a pu voir comment les canaux d’amenée guidaient l’eau sous la filature Suffolk, jusqu’aux turbines qui transféraient l’énergie cinétique aux métiers à tisser par l’intermédiaire de roues, de courroies, de poulies et d’arbres. Il a senti le plancher vibrer, entendu le vacarme de tous les mécanismes en action, humé l’odeur métallique d’huile dont l’air était saturé. J’ai demandé à mes visiteurs de s’imaginer l’étage (il y avait cinq niveaux au total) occupé par deux cents machines fonctionnant toutes en même temps. Le bruit devait être assourdissant. De fait, beaucoup d’ouvriers ont souffert dans l’exercice de leur travail d’une perte d’audition, voire de blessures graves. Les filatures se sont développées à une époque où l’on se préoccupait peu, voire pas du tout, de la sécurité des travailleurs, et rien n’isolait les éléments mobiles des machines pour éviter les accidents. Aujourd’hui, en explorant le musée Boott Cotton, les visiteurs du parc historique national de Lowell peuvent encore mieux se rendre compte de ce à quoi ressemblait une filature en activité.
En tant que ranger, on attendait de moi que je sache tout de Lowell, afin de pouvoir restituer son évolution devant vacanciers et étudiants. Je me suis renseignée sur l’énergie hydraulique et la main-d’œuvre venue assurer le travail pénible, sur les patrons et les gérants des entreprises textiles. Il m’a fallu étudier les machines et le tissage d’un point de vue technique. Mon apprentissage s’est fait par la pratique : au prix de quelques acrobaties, j’ai découvert des mécanismes de portes enfouis sous les toiles d’araignées. J’ai exploré la face cachée des usines, là où les canaux de fuite rendaient au fleuve l’eau utilisée, et embrassé du regard d’immenses ateliers vides où les métiers faisaient autrefois entendre leurs ronronnements et leurs claquements.
Le pouvoir de l’eau ! Les chutes de Pawtucket sur le Merrimack, Lowell, Massachusetts. Photographie prise par l’auteur.
Avec ses briques, ses pavés et ses canaux, les multiples facettes de son existence, Lowell est restée en moi pendant toutes ces années, mais, même si elle m’a fortement influencée, il est important de se souvenir qu’Un éclat d’argent est une fiction, et que la Tisserande n’a pas été pensée comme une réplique de Lowell. Toute inexactitude quant au fonctionnement des usines et de leurs machines résulte soit de ma liberté créative soit d’erreurs qui me sont imputables.
Ce fut un privilège pour moi de vivre à Lowell, puis de transmettre au public une myriade d’anecdotes, et le service des parcs nationaux continuera de préserver, pour les générations à venir, ce pan important de l’histoire américaine. Je ne peux que me réjouir de cette expérience, en particulier de l’inspiration qu’elle m’a apportée.
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J’encourage les lecteurs intéressés à approfondir leur découverte de Lowell et d’autres sites industriels anciens, en se rendant sur le site du parc historique national de Lowell à l’adresse suivante : www.nps.gov/lowe. Le parc proprement dit offre de nombreuses expositions et visites guidées permettant une exploration dynamique du passé et du présent de la ville. Elles méritent le détour.
Étage vide de la filature Boott Cotton no 6, en 1988. Photographie prise par l’auteur.
Un ranger des villes. L’auteur pose devant le complexe Boott Cotton en 1989. L’aire de stationnement démolie est devenue le Boarding House Park. Les visiteurs peuvent vraiment s’imaginer comment fonctionnait une filature de coton au XIXe siècle en visitant le musée Boott Cotton, dans le parc historique national de Lowell. Photographie prise par Karen Sweeny-Justice.