C’est le week-end, là où la convention s’anime vraiment, dans un Montréal envahi de bandes de fêtards aux têtes ornées de cornes rouges de diable, clignotantes. Vu d’en haut, c’est surréaliste. L’enfer est une fiesta du samedi soir, il faudra que je m’en souvienne.

Aujourd’hui samedi, je signe mes livres entre Cory Doctorow et Robert Silverberg, qui a promis de m’envoyer quelques-uns de ses lecteurs – la queue devant lui s’étend sur trente mètres. On me prend en photo, Pat Cadigan vient bavarder, des fans viennent me faire signer des exemplaires du Year's best SF où figure Déchiffrer la Trame, et une charmante jeune fille me demande de parapher ma biographie, téléchargée sur le web. Mais personne n’a envie d’essayer de lire des nouvelles françaises en anglais, on dirait…

Sur le chemin de la convention, j’ai aperçu un arbre planté dans un bac à la sortie d’une banque. Une pancarte bilingue pendait de ses branches, qui disait : "Respectez-moi s’il vous plaît, je ne fume pas". Le Canada semble avoir pratiquement éliminé la cigarette en tant que vice autorisé. Je me demande ce qu’ils ont trouvé pour la remplacer. A part les muffins à l’orange…

La pile de mon appareil photo est en train de rendre l’âme et mon hôtel est à 20 minutes à pieds. Du coup, vous ne verrez pas la ravissante jeune fille costumée en princesse de Clèves, avec brocard, masque et baskets à paillettes, ni le regard que Cory Doctorow lui jette.

Le samedi après-midi est consacré à la recherche frénétique d’un chargeur pour mon appareil, d’un rétroprojecteur pour la présentation des livres de Bragelonne, d’un endroit où manger des sushis décents et du lieu des prochains panels auxquels j’ai prévu d’assister. Celui sur la SF des minorités commence bizarrement – tous les membres minoritaires ayant déclaré forfait au dernier moment, le panel est entièrement blanc de peau, à la fois côté présentateurs et côté public. Situation extrêmement embarrassante, socialement, comme le fait remarquer un des participants. Alors, comme à chaque fois ou presque, le sujet dérive. Au fond, la science-fiction ne parle de rien d’autre que du sentiment que nous avons tous d’être le seul de notre espèce.

Le soir, juste après la mascarade costumée (pas de photos, désolé, et c’est dommage) est prévu un immense feu d’artifice tiré à côté du pont Cartier, en plein centre ville. J’y assiste depuis la terrasse de mon adorable traductrice, Sheryl Curtis, en compagnie d’un public choisi, dont David Hartwell qui a encore changé de cravate – la nouvelle est un feu d’artifice à elle seule. La nuit est superbe, sans nuages, et la ville est survolée par des dizaines d’hélicoptères, petits avions de tourisme ou ballons venus assister au spectacle. Et, de la terrasse d’à côté, jaillit une musique pompière au possible – mélange de bande sons orchestrales à la Gladiator ou de génériques façon James Bond – dont on apprend qu’elle est la bande son officielle du feu d’artifice, diffusée par les radios montréalaise. Heureusement, le bruit des explosions couvre les violons sirupeux.

Anticipation, jours 3 et 4          Anticipation, jours 3 et 4

Le dimanche, je consulte mon planning de choses à faire en me grattant la tête. Le Congrès Boréal a lieu en même temps que la convention, dans l’hôtel que j’ai choisi. Il n’est pas très facile de circuler d’un événement à l’autre, et les choix sont cornéliens. Je veux quand même traîner un peu avec les écrivains québécois, trop mal connus de notre côté de l’Atlantique mais dont les livres me fascinent depuis vingt ans.

Anticipation, jours 3 et 4Donc, après avoir été embarqué à l’improviste dans un panel sur le retravaillage des textes, je suis retourné à la convention en compagnie d’Esther Rochon. J’avais découvert Esther à la fin des années 80, avec Coquillage, qui reste un des textes les plus agréablement sensuels que j’aie jamais lu, et nous nous sommes croisés une demi-douzaine de fois dans différents congrès. A chaque fois nous reprenons notre conversation en cours pour y apporter de nouveaux éléments, comme si nos livres et nos vies ne formaient qu’une immense galaxie dans laquelle nous sautons de planète en planète, heureux de chaque fois les trouver habitées.

 Anticipation, jours 3 et 4La convention est envahie de survivants de la mascarade d’hier. On croise des Alice aux chaussures de lapin dans les panels, ou des créatures sexy qui déambulent entre les livres… Le stand Locus est le lieu où il faut être vu – en quelques minutes, on y croise Connie Willis, Pat Cadigan, Gardner Dozois, Mike Resnick… On distribue des badges à la mémoire de Charles Brown, fondateur de la revue. Jon Courtenay Grimwood y traîne son élégance de gentleman anglais – voilà un auteur de SF remarquablement novateur, aussi affûté qu’une lame de céramique à monofilament, dont les romans ont échappé aux lecteurs français en raison sans doute de leur modernité sans concession. Pourtant, RougeRobe ou ReMix préfigurent beaucoup de romans publiés aujourd’hui, tout en restant à la pointe du genre, presque dix ans après.

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Pendant que la cérémonie de répétition des Hugos a lieu dans la grande salle – avec mise en scène des bisous émus des lauréats, des bafouillis soigneusement scriptés et des improvisations projetées sur prompteur – nous organisons une séance de signatures autour des anthologies NSO. Les auteurs et éditeurs présents (Gardner Dozois, Peter Watts, Walter John Williams…) apposent leur paraphe sur les ouvrages apportés par Tom Clegg. Même Cory Doctorow vient signer l’exemplaire de l’anthologie. Il y aura peut-être une troisième anthologie de ce genre et je cherche à négocier une place pour les auteurs français qui écrivent du NSO. Il va falloir convaincre, mais le processus est bien engagé.

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Anticipation, jours 3 et 4Et, juste avant de connaître les résultats du Hugo – qui feront l’objet d’un billet spécial – on s’offre un dernier panel pour la route : les hauts et les bas de la SF, avec Danielle Martinigol, Laurent "Doc" Genefort, Jeanne-A Debats et Stéphane Marsan comme modérateur. La SF passe-t-elle par un creux ou va-t-elle droit dans le gouffre ? demande le programme officiel de la convention. On s’en fout, on continue, répondent d’une seule voix les participants.

En partant, je photographie une guerrière fatiguée qui prend néanmoins la pose pour me faire plaisir. La dernière bataille aura lieu demain…

A suivre... 

 

En bonus, quelques clichés de la fête Bragelonne, envoyés par Stéphane :

Photos de la Fête Bragelonne durant le congrès Anticipation
Pierre Pevel et George R.R. Martin, tenant les épreuves
non corrigées de The Cardinal's Blades


Trudi Canavan
et Olivier Dombret

Photos de la Fête Bragelonne durant le congrès Anticipation
Robert Silverberg
, Karen Haber et Tom Clegg

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