Où le récit de Jean-Claude Dunyach commence réellement avec le début de la convention... et où Tom Clegg intervient pour évoquer le premier ouvrage en langue anglaise de Bragelonne !
Il suffit de quelques minutes dans l’immense hall du Palais des Congrès de Montréal pour prendre conscience d’une vérité incontournable : la science-fiction est le dernier refuge des barbus. Je ne parle pas de ceux dont le vague buisson est impeccablement taillé façon jeune cadre dynamique, mais de la tendance ZZ Top survitaminée. Il y a des barbes – grises le plus souvent – qui descendent jusqu’au ventre et qui pourraient servir de cache-sexe. D’autres si entremêlées qu’on pourrait y cacher toute une écologie. Des barbes tressées façon dreadlocks, nouées comme une cravate, des hirsuteries asymétriques qui se balancent avec grâce (ou pas, d’ailleurs). Le poil exubérant est de retour. Est-ce bon signe quant à la vitalité du genre ?
Pendant que je fais la queue pour m’inscrire, récupérer l’enveloppe avec mes horaires et mon badge vert de panelist, je croise Robert Silverberg que je fourre illico dans les bras de Jeanne-A. Debats, le temps d’une photo. Dans le sac qu’on me remet, il y a une surprise de taille : l’anthologie grand format en anglais intitulée Crossing the boundaries et offerte par Bragelonne à tous les inscrits à la convention. Le tout a été conçu et traduit par Tom Clegg et enveloppé d’une couverture signée Didier Graffet, David Oghia et Anne-Claire Payet. C’est la première fois à ma connaissance qu’une telle initiative est prise par un éditeur français, surtout à cette échelle… mais Tom vous en reparle plus bas. Je réalise que tous les auteurs qui y figurent sont éligibles pour le Hugo 2010, catégorie textes étrangers. J’espère vraiment que l’un d’entre eux se retrouvera dans la sélection finale l’année prochaine à Melbourne. Ça aurait de la gueule !
Autour de moi, des gens feuillettent l’ouvrage d’un air intrigué. J’en discute un moment avec quelques fans venus de Finlande, puis je fonce vers un des hauts lieux de la convention : la "dealers room". C’est une salle immense, façon entrepôt, divisée en secteurs : il y a les livres, bien sûr, mais aussi les marchands de plein de trucs plus ou moins en rapport avec l’imaginaire. Parmi mes préférés, un stand qui présente entre autres des masques de dragon en cuir repoussés, faits main Le prix est malheureusement dissuasif.
Juste à côté, il y a le stand des candidats pour la convention de 2013 – entre le Texas et celle qui s’appelle "Constipation", j’avoue qu’il est possible d’hésiter. Heureusement, il y a le stand des Furry Lovers, ce groupe de fans qui aiment se costumer avec de la fourrure avant de se photographier dans des poses suggestives. Pierre Pevel décide de ne plus s’étonner de rien.
A l’entrée de la dealers room, une exposition est spécifiquement consacrée aux cravates de David Hartwell. David est un des editeurs américains les plus célèbres, à la fois pour son flair éditorial et pour l’excentricité de ses tenues vestimentaires ! C’est la seule personne que je connaisse capable de marier une veste à carreaux multicolores, une chemise à pois et une cravate zébrée, dans des couleurs explosives. Le tout surmonté d’un sourire et d’un chapeau orné de tentacules, voire d’une hélice en train de tourner. Si vous le croisez, vous n’aurez pas de mal à le reconnaître.
La convention n’a pas encore vraiment commencé, même s’il y a plein de gens affublés de badges qui circulent le long des couloirs, l’air perplexe. De grands escalators relient directement le deuxième étage, qui abrite les inscriptions et la dealers room, au cinquième, où se trouvent les quatre-vingt salles de conférence. L’existence d’un étage 3 ou 4 demeure totalement hypothétique.
Les premiers panels démarrent à midi. Ange parle de l’adaptation des œuvres, quand elle ne dort pas sur l’épaule de sa voisine. Tom Clegg et les McAllisters me rejoignent pour vanter le Space Opera devant un public clairsemé. Plus tard, Jeanne-A Debats et moi-même attendrons vainement dans une salle totalement vide que quelqu’un se décide à venir écouter nos textes, que nous sommes pourtant censés lire devant une foule de fans en délire. Au bout de vingt minutes de tête-à-tête un brin crispé, constatant que notre réputation nous a précédés, et que la foule en délire était optionnelle, nous partons boire un coup. Ellen Kushner et Delia Sherman nous font un coucou consolateur avant d’attaquer vaillamment l’escalator.
Plus l’après-midi avance, moins les panels sont fréquentés, à l’exception notable de la conférence de Neil Gaiman, pleine à craquer. Ce type a un charme indéniable et un entourage de la taille de celui de Mick Jagger. Il faut s’inscrire pour avoir le droit de faire la queue à sa séance de dédicaces.
Les effets du décalage horaire se font sentir chez beaucoup de participants. Je repars vers l’hôtel sans avoir assisté à la cérémonie d’ouverture officielle de la convention. Je n’aurai pas non plus le courage d’assister à la party d’anniversaire d’Elisabeth Vonarburg, qui commence à quatre heures du matin d’après mon horloge interne. Et le programme de demain s’annonce rude…
À suivre…
Jean-Claude
Nous avons essayé de garder la surprise, mais l'heure n'est plus aux secrets: dès hier, tous les inscrits à Anticipation ont reçu gratuitement dans leur sac remplis de "goodies" une petite anthologie en langue anglaise intitulée Crossing the Boundaries : French Fantasy from Bragelonne.
Nous en sommes très fiers car il s’agit du premier ouvrage en anglais publié par Bragelonne et nous espérons qu’il donnera un bon aperçu aux lecteurs anglophones de la diversité et la qualité de la Fantasy française à l’heure actuelle. C’est Stéphane Marsan qui a eu l’idée au mois de janvier et qui a sélectionné six textes que j’ai traduits dans ma langue maternelle. Ils étaient assez éloignés de mon terrain de prédilection – la science-fiction – mais j’ai eu beaucoup de plaisir en prenant connaissance de ces histoires et en essayant de transposer leurs effets de style en anglais.
Après une courte introduction de Stéphane qui plaide pour une intensification généralisée des échanges entre imaginaires anglo et francophone, on trouve :
- The Cardinal’s Blades (Les Lames du Cardinal) de Pierre Pevel : Il s’agit de cinq chapitres extraits du début du roman qui paraîtra au mois de novembre 2009 outre-Manche, chez Gollancz. (On nous a promis quelques exemplaires des épreuves reliées du roman complet pour les distribuer à Montréal). Vous connaissez tous le fantastique livre de Pierre, je ne vais donc pas vous faire l’affront de vous le décrire. (Dans le cas contraire, n’hésitez pas à visiter le site ou le blog de Bragelonne.)
- The Lady of the Forest (La Dame à la forêt) d’Henri Loevenbruck : Nouvelle épistolaire tirée des Enfants de la Veuve (Gallica - tome 3) qui se lit très bien même si on ne connaît pas la série. Un moine, artiste frustré, quitte son monastère en désespoir de cause et hésite entre la vie et la mort quand il tombe sur un phénomène étrange qui va bouleverser son existence. C’est un morceau très fort et il m’a guidé en quelque sorte pour trouver le titre de l'anthologie en anglais.
- Wrecking My Career (Naufrage, mode d’emploi) de Fabrice Colin : Nouvelle lauréate en 1999-2000 du prix Ozone et du Grand Prix de l’Imaginaire, à propos d’un auteur de Fantasy contraint par son éditeur et son agent d’abandonner les pays de l’imaginaire pour se dévouer aux choses "sérieuses". Heureusement, les personnages de ses livres précédentes continue à hanter son inconscient et vont rejaillir à la surface avec des effets spectaculaires. De ton léger avec beaucoup de clins d’œil aux lecteurs avertis, il donne une bonne dose de l’humour à ce volume.
- Well-Being, Rewarding Work (Bien-Être, Travai Envié) d’Erik Wietzel : Allégorie passablement angoissante sur la Shoah et plus généralement la haine raciale, située dans un univers fantastique. Une espèce d’ogre enfermé dans un camp de concentration, s’aligne avec les maîtres des lieux pour assouvir ses désirs sur d’autres prisonniers, avant de voir toutes ses certitudes remises en question.
- Three Little Children (Il était trois petits enfants) d’Ange : Une fantasy urbaine qui a pour décor le quartier de Belleville à Paris (tout près de chez moi !) et met en scène gangs, flics et un tueur en série, le tout inspiré de la chansonnette de Noël bien connue de tous les petits Français. Je trouve que la juxtaposition du monde enfantin/monde des adultes produit un effet hautement effrayant.
- To Chloe (À Chloé) de Magali Ségura : Dans les Pays Insolites, situés dans le même univers que la trilogie Leïlan, une malédiction donne naissance à une forme particulièrement cruelle de l’oppression des femmes par les hommes. L’histoire raconte le voyage d’une jeune femme courageuse et indomptable vers la liberté et l’amour.
Voilà, comme vous voyez, six récits bien variés qui restent loin des clichés du genre. Nous pensons que cet échantillon sera suffisamment dépaysant pour éveiller la curiosité de nos amis anglophones et les inciter à savoir plus sur la littérature de l’Imaginaire en France. Comme nous disons sur la 4uatrième de couverture, la façon la plus simple de passer d’un monde à un autre est de tourner la page !
Tom